Institut Supérieur des Beaux-Arts de Besançon
Exposition // Nadirs // Thomas Fontaine
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DU MERCREDI 3 OCTOBRE AU JEUDI 22 NOVEMBRE 2018.
Grande Galerie.
Vernissage le mardi 2 octobre 2018, à 18H30.

Exposition ouverte du lundi au vendredi de 14H00 à 18H00. (sauf jours fériés et vacances scolaires).

ESTHÉTIQUE
DE LA VIOLENCE

« Le mouvement de l’amour, porté à l’extrême, est un mouvement de mort… »
Georges Bataille, L’Érotisme

Il est rassurant de constater pour un philosophe qu’en ces temps de « political correctness » importé, un artiste ose encore défier l’évidence, et s’affirmer pas à pas dans un authentique et créatif face à face avec la violence. D’ordinaire celle-ci n’est quasiment jamais vraiment conceptualisée ni même effleurée sinon pour rejouer la scène pathétique du Bouvard et Pécuchet de Flaubert : « tonner contre ! »

La violence n’appellerait ces jours ci et ce, pourtant bien après Freud et Bataille, Deleuze et Foucault, qu’un seul traitement, celui de l’opprobre, purge des Diafoirus médiatiques administrée au peuple sagement assemblé devant son petit écran. Quelques complaisances également là pour flatter notre voyeurisme ne feraient naturellement dans leur trop apparente exception que confirmer la règle : la violence c’est mal.

L’on s’attardera alors avec délectation comme on le fait chez Marina Abramovic ou Fabrice Gygi, devant les pièces de Thomas Fontaine qui tour à tour évoquent, incarnent, flattent ou déconstruisent, cette ou plutôt ces violences qui nous constituent comme contemporains. Car, et le pluriel est d’importance, ce sont bien de nos violences dont il s’agit dans ces œuvres là.

Celle d’abord d’une société du contrôle qui semble bel et bien avoir fait du Panoptikon son modèle absolu. Cartographies non du Tendre mais de la surveillance tous azimuts dans laquelle nous vivons et qui sous couvert de détermination frontalière rejoue sans cesse la triste comédie de notre enfermement, « les nations c’est de la glue » disait Cioran. Ces territoires qui rassurent autant qu’ils emprisonnent donnent à ce jeune créateur l’occasion de déployer plastiquement ce mécanisme d’oppression à l’apparente innocence mais de l’île d’Utopie aux camps d’internement nous savons historiquement hélas qu’il n’y a qu’un pas pour peu qu’on s’intéresse moins aux hommes tels qu’ils sont, mais davantage à ce qu’ils devraient soit disant être ; quitte à les faire entrer de toute force dans des paradigmes inadéquats.

Thomas conçoit alors son terrible atlas comme la projection plastique d’un gouvernement par la peur comme Buzzati en littérature nous livrait les dessous de sa citadelle, au royaume de la haine de l’autre, les tyrans sont toujours rois. De même, les tentures murales du Trianon peuvent bien vanter les mérites des scènes exotiques à la mode, elles n’exhibent jamais que l’horrible trophée du commerce triangulaire. Et rien d’étonnant alors à ce que l’évocation sous forme de papier peint choisie par l’artiste du navire négrier colle ainsi parfaitement à la peau de cette infamie historique. Les souffrances et les violences les plus inimaginables convoquées pour la joliesse et le confort des boudoirs.

Mais, il y a plus encore dans ce travail polymorphe et notre esprit hors de tout contrôle ne peut guère échapper par exemple à la fascination de ces pendeloques enchaînées. Sortes de punching-balls sadomasochistes dont les matières brillantes et douces saillent sous la pression d’un enchaînement qui se donne à voir, comme si l’alliance des solides maillons de fer et des vinyles ajoutait encore, et pour notre plus grand plaisir, à leur apparente soumission.
Mises en scène dans l’inquiétante mobilité des pendus, ces grosses masses enserrées suscitent bien des fantasmagories que l’on refoulera en vain comme devant ces drôles de potences de Fabrice Gygi ou ces antiques peintures du martyr de Saint Sébastien dont bien avant la psychanalyse on reconnaissait déjà le sulfureux pouvoir d’évocation.

C’est d’ailleurs là le secret des authentiques créateurs visuels, jouer de ce pouvoir chamanique de résonance plus que du seul raisonnement, laisser advenir des images suscitées comme invitées à répondre intimement en nous à l’œuvre présentée, œuvre qui devient alors davantage une occasion à penser qu’un moment déclaratif. Ruse de l’artiste qui en évoquant, (on oserait la très lacanienne expression dans le contexte : « avec l’air de ne pas y toucher »), la violence en nous, la dévoile bien mieux qu’en l’illustrant.

Enfin le travail de Thomas Fontaine commencé lors de ces jeux de crânes que n’aurait pas désavoué le Ingmar Bergman du « Septième Sceau », s’installe également de plein pied avec la violence inhérente à notre condition humaine, celle d’une mort qu’il nous faut bien reconnaître même au temps des marelles.
La partie commence avec la camarde dès notre être au monde et se poursuit jusqu’à son irrémédiable triomphe. Et c’est peut être dans la prise en compte sérieuse de cette conscience tragique de notre destinée que l’artiste dévoile son plus grand héritage à Bataille. Car la cruauté de notre regard comme les farouches excès de nos fantasmes les plus enfouis ne se saisissent que dans l’horizon de cette catastrophe annoncée qu’est notre fin.

Toutefois, rien de complaisant dans cette œuvre si prometteuse dans sa radicalité, ni de funèbre d’ailleurs, comme si le souci des formes abouties et des matières maîtrisées permettait toujours à la jubilation de créer de l’emporter sous tout autre sentiment.

En somme, Thomas Fontaine nous inviterait à habiter son univers où le souci délicat de la finition tiendrait tête, en une douce ironie, à la conscience la plus aiguë de notre finitude.

Le goût d’un travail châtié en quelque sorte…

Laurent Devèze.


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