Institut Supérieur des Beaux-Arts de Besançon
Pédagogie

J’ai fait ma première expérience d’enseignement en école d’art au San Francisco Art Institute (Californie, USA) en 2007. Sous l’influence d’Okwei Enwesor l’école avait orienté son cursus général vers un enseignement privilégiant le social, le politique, les études de genre et la connaissance du monde de l’art dans une approche non euro-centrée. D’abord invitée en tant qu’artiste, j’ai été conviée à participer au programme City Studio qui offre à des jeunes en situation sociale, géographique et culturelle difficile une éducation artistique de grande qualité dans leur propre quartier, les engage dans un programme à long terme pour acquérir des compétences dans le domaine des arts plastiques et les aide à s’orienter vers une carrière dans les arts et/ou des études supérieures.
Parallèlement, je donnais aux étudiant.e.s de 3ème année du cursus « classique » un cours sur la théorie des médias. Le voisinage entre ces deux approches, l’une expérimentale et in situ, l’autre plus conforme
à ce qui se pratique habituellement en école d’art a été, pour les enseignant.e.s qui y participaient
d’une grande richesse et a permis, sans jamais rien céder sur l’exigence de qualité des enseignements,
de renouveler l’approche pédagogique de l’équipe. La prise en compte de l’environnement de travail,
des enjeux politiques et sociaux contemporains, la possibilité donnée aux étudiant.e.s d’intervenir
dans l’espace public, qui relevaient de la nécessité avec les jeunes de City Studio, sont venues considérablement enrichir le cursus classique et le débarrasser en partie d’une approche « artiste » parfois un peu auto-référentielle.
Le SFAI m’avait recrutée notamment pour mes pratiques entre art, politique et social avec l’expérience précédente de la Compagnie à Marseille un lieu d’art contemporain en plein cœur de la ville qui était à l’époque confrontée à une réhabilitation violente et un changement de population conséquent. Le passage à l’enseignement s’est donc effectué pour moi dans une continuité très évidente avec mes pratiques artistiques : dans un dialogue ininterrompu avec la ville et ses habitant.e.s.

ENSEIGNER L’IMAGE ET LA CULTURE VISUELLE AUJOURD’HUI
De retour en France, j’ai commencé à enseigner au sein du département Photographie et design de la Parson school of Art de Paris. J’ai tout de suite été en charge de l’accompagnement des étudiant.e.s de dernière année vers leur Bachelor of Fine Arts (équivalent du DNAP) en photographie contemporaine, et du suivi de leurs projets de fin d’études. Parallèlement, je suivais à l’EHESS le séminaire d’André Gunthert qui développait une approche critique des nouveaux outils photographiques.
J’ai poursuivi ce travail de suivi de projet des années diplômantes cette fois au département Fine
Arts du Paris College of Art, avec des étudiant.e.s en Arts visuels. Cette école internationale, en écho à l’enseignement que j’avais suivi à l’EHESS, m’offrait la possibilité d’observer les modifications dans l’histoire et les pratiques de la photographie opéré par l’utilisation massive des smartphones et des réseaux sociaux, mais aussi de comprendre l’impact de la pratique unilatérale de la langue anglaise et l’homogénéisation qu’elle engendre dans les pratiques et les discours.
Depuis 2013, j’enseigne à L’Institut supérieur des Beaux-arts de Besançon, au sein des départements Art et Communication visuelle. Pour le premier cycle je conçois mes cours de façon à donner avant toute chose à chaque étudiant.e une approche critique des instruments et des pratiques des nouveaux médias
(photographie numérique, pratiques audio, vidéo, interventions sur Internet etc.), et les outils théoriques de la Culture visuelle. Les images véhiculent aujourd’hui une part importante des signes que nous émettons. Cette centralité de l’image me pousse à enseigner comment elles sont fabriquées, comment elles sont utilisées et surtout les moyens nécessaires pour les décrypter. La grande accessibilité technique des nouveaux médias génère une prolifération des images, qui sont considérées le plus souvent comme vecteurs de contenus. Cependant à l’aire de l’industrie culturelle, les outils eux-mêmes sont source de réflexion. Avec l’utilisation popularisée par les photographes amateurs ou professionnels des plateformes en ligne la photographie, l’audio ou la vidéo prennent une valeur d’échange, de partage et reposent, différemment, la notion d’œuvre, la qualification d’authenticité, ou la question des droits d’auteurs. En ce sens il me semble essentiel d’enseigner la pratique de ces outils, comme une pratique d’emblée sociale et politique, à la lumière des enjeux que pose « l’œuvre d’art à l’ère de son infinie reproductibilité technique ». De fait mes cours prennent souvent la forme d’une réflexion et d’exercices qui se déploient à partir des linéaments théoriques d’un courant artistique ou d’un texte fondateur.
L’enseignement du second cycle d’un format plus souple que celui, régulier et rigoureux, du premier
cycle, m’a permis d’expérimenter une pédagogie différente, afin de déjouer la routine souvent prévisible des rendez-vous d’atelier hebdomadaires, ou parce que le travail engagé par les étudiant.e.s peinait parfois à aboutir. Tirant parti de la multiplicité des disciplines qui se croisaient souvent sans se voir au sein de l’école j’ai travaillé à décloisonner le travail d’atelier, en faisant circuler entre les travaux d’étudiant.e.s les références théoriques, les catégories critiques, les outils pratiques. J’ai mis un soin particulier à prendre à contre-pied la tentation de spécialisation qui traverse les étudiant.e.s à partir de la 4 ème année, à les faire sortir de toute ornière précoce en leur faisant endosser tour à tour le rôle de l’artiste en devenir, du critique, du curateur, de l’enseignant.e même, en encourageant la coopération et les rencontres entre les projets singuliers. Je les ai incités également à sortir de ce qui est déjà, à leur échelle, un petit « milieu de l’art », en allant défendre leur travail devant des personnes a priori étrangères à ce qui nous anime. Je les ai poussés à travailler leur souplesse et à questionner toute évidence.
Dans la logique de ce travail, j’ai assumé la responsabilité du cursus de 5ème année pour accompagner les étudiant.e.s vers le diplôme et, au-delà, vers la pratique autonome de leur activité.
À cette occasion, je me suis saisie de l’épreuve redoutée du mémoire, de la nécessité parfois paralysante pour les étudiant.e.s de faire usage d’un médium qu’ils et elles ne maitrisent pas toujours. Quels outils artistiques et venant d’autres pratiques de recherche et d’écriture peuvent nourrir le travail de mémoire
de master ? En quoi cette épreuve souvent perçue comme éloignée de la pratique artistique peut en être
le contrepoint rigoureux ? Pour répondre en partie à ces questions j’ai invité, Peggy Pierrot, journaliste et autrice, à animer un workshop de quatre jours, hors de l’école à l’espace Gantner à Belfort et avant même le début des cours. Quarante étudiant.e.s y étaient réuni.e.s, presque en autarcie, pour enclencher le processus d’écriture de leur mémoire et trouver – ou construire – des outils adaptés à leurs besoins4.
En 2017 J’ai été invitée à participer en tant que tutrice aux Ateliers des Horizons, la nouvelle formation du centre d’art du Magasin à Grenoble qui avait publié un enthousiasmant programme de formation pluridisciplinaire « Arts et Société » : « l’Atelier des Horizons était un programme expérimental visant toute personne, quel que soit son parcours [...] afin de mener une réflexion vivante et autonome et d’améliorer par le collectif les recherches personnelles de chacun.e.s ». Ils entendaient notamment
« nourrir une réflexion sur les mutations sociales, les évolutions des pratiques professionnelles et les
défis politiques posés aux milieux culturels, associatifs, de santé, syndicaux, questionner et (re)penser les croisements de réseaux professionnels et disciplinaires, les modes de transmission des savoirs, les processus éducatifs et de travail, les structures et outils figés dans des traditions qui confondent élitisme et exigence, récitation et connaissance, construire un collectif d’apprentissage et des pratiques de travail, faire des restitutions publiques, co-organisées avec l’équipe des Ateliers des Horizons, de l’avancée des travaux de recherche et des réflexions du collectif ».

LA PÉDAGOGIE COMME PROJET DE RECHERCHE


De ces expériences dans le champ pédagogique, il m’est apparu évident qu’on ne pouvait enseigner l’art sans réféchir à la manière dont on l’enseignait, et que ces questions, loin d’être « techniques » ou subsidiaires, pouvaient constituer un champ de recherche à part entière. J’en ai donc fait l’objet d’un premier Atelier de Recherche et de Création en 2016, qui est devenu l’année suivante un projet de recherche de plus grande envergure.
Handle with Care
En 2017, je dépose donc avec deux autres enseignantes un programme de recherche qui a été porté financièrement par la plateforme des école d’art de Bourgogne Franche-Comté. Voici ce qu’il proposait : « À partir d’une institution, celle de l’Institut Supérieur des Beaux-Arts de Besançon, il s’agira de développer une initiative satellite pour penser l’école dans l’école. Dans un climat social de plus en plus conservateur où la précarisation des écoles d’art territoriales rend plus difficile la résistance à la normalisation des comportements, des savoirs et, partant, de l’art, nous voyons l’occasion de déstabiliser et de dépoussiérer nos pratiques, de repenser « le corps enseignant »,
son pouvoir et ses enjeux. En commençant par interroger la manière dont on enseigne —et dont on reçoit l’enseignement — le programme Handle With Care a pour ambition d’ouvrir un champ d’expérimentation
qui regarde indissolublement la transmission des savoirs, les rapports sociaux (dans l’école et au-delà) et les modalités mêmes de la création. Ce programme de recherche vise, à partir de l’institution-école d’art, à élaborer collectivement une base de savoirs-faire et de nouveaux outils pédagogiques qui fonctionnerait comme une structure open-source, c’est à dire évolutive et en libre redistribution. Au cours des différentes étapes de développement du programme, en tissant des liens étroits avec différents partenaires au-delà de l’école, nous souhaitons en premier lieu explorer et réunir les moyens technologiques, artistiques, graphiques et humains qui nous permettront d’élaborer cet outil expérimental, pour pouvoir ensuite penser ses modes de diffusion et d’évolution. »
2018 et 2019 ont été en grande partie dédiées à la mise en place d’un programme de recherche Européen financé par Erasmus+ axé sur la pédagogie critique et féministe en école d’art. Ce projet, Teaching to Transgress toolbox avait pour ambition de mettre en oeuvre une formation post diplôme et à terme, un Master Européen. Il réunissait l’ISBA (Besançon), l’École de Recherche Graphique (ERG, Bruxelles), l’université de Göteborg (Suède).

INSTITUT SUPÉRIEUR DES BEAUX ARTS DE BESANÇON — depuis 2013
Enseignante en image et critique de l’image, départements Arts et Communication visuelle.

ÉCOLE DU MAGASIN, GRENOBLE — 2017-2018 Co-tutrice pour la promotion 2018 (Atelier des Horizons)

PARIS COLLEGE OF ART, PARIS — 2013 - 2018 Adjunct Professor – Senior concentration Encadrement du Bachelor of Fine Arts (DNAP) Undergraduate Fine Arts Department (enseignement dispensé en anglais)

PARSON SCHOOL OF ART, PARIS – 2010-2012 Adjunct Professor – Documentary Photography Encadrement du Bachelor of Fine Arts (DNAP) Undergraduate Photography Department (enseignement dispensé en anglais)

SAN FRANCISCO ART INSTITUTE, SAN FRANCISCO (CALIFORNIE) — 2006-2009 Adjunct Professor – Transdisciplinary practices
City Studio Youth Program
Adjunct Professor - Critical media theory
Undergraduate program – 3 year (enseignement dispensé en anglais)


Institut Supérieur des Beaux Arts de Besançon I 12, rue Denis Papin, 25000 Besançon I T. +33 (0)3 81 87 81 30